Voilà.

La cohorte grise des médiocres édiles locales, des experts en valeurs de l’Ovalie, des contrôleurs patentés de l’AOC « rugby basque »doit ricaner grassement aujourd’hui : toutes les presses – locale, spécialisée – enflent d’articles qui annoncent la débandade au Biarritz Olympique. On va fêter le départ des usurpateurs, de l’Agenais, des « Hong-Kongais », bref de tous ces imposteurs venant de l’autre côté du BAB et qui osaient imaginer construire un avenir au club rouge et blanc.

Ces ricaneurs, ce sont les mêmes que ceux qui, il y a six ans, regardaient leurs pompes quand le club était déjà au bord du dépôt de bilan, au premier rang desquels les autoproclamés « galactiques », ces anciennes gloires du club qui depuis tirent presque tous ou presque des chèques en blanc sur leur notoriété avec la complicité plus ou moins active d’une Mairie ravie d’imaginer sa ville comme une capitale de la modernité cantonnant le rugby au fond du petit musée d’Aguilera, alors même que la locataire de l’avenue Edouard VII incarne, jusqu’à la plus navrante caricature, la médiocrité des ambitions, la bassesse des intrigues, et la défense acharnée d’intérêts personnels qu’on aurait cru davantage trouver dans le plus dépressif ouvrage de Flaubert qu’à une encablure de la Reine des Plages. C’est une piquante ironie de l’histoire que de voir présider aux destinées de la rutilante Milady un personnage si terne, si banal, si étriqué.

Mais revenons à nos moutons, autant dire à tous ceux qui ne voient rien, ou font semblant de ne rien voir : ils assistent sans voix à l’effondrement d’un club de légende, d’une des plus belles adresses du rugby français, d’un des derniers vestiges d’une géographie surannée où, à coups de vignettes Panini, on apprenait où se trouvaient Montchanin, Chateaurenard, La Voulte, Bagnères-de-Bigorre, Le Boucau, Auch… Dans cet univers où la province avait ses rites et ses coutumes – y compris celle des bourre-pifs sur le terrain et des 3ème mi-temps gargantuesques où un vegan aurait fini à poil à faire la plonge – Biarritz faisait effectivement figure de capitale, mais c’est sur le terrain qu’elle avait gagné ses lettres de noblesse.

Puis les temps ont changé : avec le professionnalisme, la dimension économique a imposé ses lois, faisant émerger des équipes au sommet sans aucun antécédent rugbystique évident (« du rugby à Lyon ? Vous êtes sûr ? ») mais avec une masse critique de fric de nature à leur faire brûler les étapes, et au contraire, faisant chuter des bastions historiques comme des guignols à bascule un jour de fête foraine. La permanence d’un club comme Biarritz au sommet tenait à la présence d’un infatigable mécène, dont une des tribunes porte le nom. Au décès de celui-ci, la survie nécessitait un petit miracle et beaucoup d’ingéniosité. Toutes ces ressources étaient épuisées, au moment où le tandem Gave-Aldigé a pris les commandes. Ils n’ont rien volé à personne. Ils ont sauvé la boutique. Et ils ont tenté de faire passer le club à l’ère moderne, dans la transparence, deux choses qu’on n’aime pas beaucoup dans le coin.

Inutile de revenir en détail sur la situation actuelle. Gave et Aldigé sont-ils exempts de tout reproche ? Probablement pas. Le premier a sûrement sous-estimé qu’on ne pouvait acquérir de légitimité – a fortiori dans un club comme celui-là – en assistant sur place à trois matchs par an.

Le second se fiche de la diplomatie comme d’une guigne et aime autant la provocation que les ballons portés. Arrivé avec l’assurance d’un conquérant, il n’a pas pris la mesure de l’importance de la forme, et s’il faut reconnaître au gaillard un courage et une fidélité de grognard du Premier Empire, il sera passé en six années de Bonaparte à Cambronne.

Mais l’échec en cours est profondément injuste pour eux, car le premier a fait preuve de beaucoup de patience et de bonne volonté pendant ces années de calvaire – illuminées toutefois de la miraculeuse et merveilleuse montée en TOP14 aux dépens du voisin bayonnais – et le second a mis toute son énergie, et tous ses rêves de gosse au service du club, cherchant infatigablement à sortir par le haut à chaque nouvelle embûche, chaque nouveau traquenard, jusqu’à ce que l’envie plus que les forces ne lui manque.

Un grand bravo donc au tandem Etchegaray-Arosteguy, pour leur privatisation non dite de l’agglomération au profit de leurs petits intérêts bien compris, et pour la solidité et l’étanchéité d’un système qui canalise en matière de sports l’ensemble des moyens vers l’Aviron Bayonnais (bravo à lui au passage) et qui n’a jamais dans le même temps ne serait-ce qu’envisagé d’instruire le moindre dossier pour aider le Biarritz Olympique. Grâce à ce duo improbable, fonctionnant sur la base d’un échange inégalitaire, le rugby basque est devenu hémiplégique, avec une moitié morte, et une moitié hypertrophiée sous perfusion. Que le Maire de Bayonne y trouve son compte, c’est dans la nature humaine, mais que celle de Biarritz trempe dans la combine, cela restera une énigme, à moins qu’un jour, un plus courageux que d’autres nous dévoile les dessous des cartes.

En attendant on souhaite bien du plaisir aux repreneurs ce club, surtout s’ils ne sont pas biarrots.

Qu’ils perdent d’entrée une illusion : ils pourraient penser, comme la précédente équipe dirigeante, que le Biarritz Olympique appartient à ses supporters, à tous ses supporters, d’où qu’ils soient, de quelque époque qu’ils soient. Ils verront rapidement que ça ne fonctionne pas comme cela ici. Et on souhaite bonne chance aux partants, en espérant – s’ils ne sont pas dégoutés à vie – de retrouver dans un plus ou moins proche avenir une terre plus accueillante où leurs talents et leur énergie seront mises à profit de manière constructive et bienveillante.